« J’insisterais sur le fait que mon entreprise n’est pas la seule à devoir prendre régulièrement des dispositions : mes clients aussi. »
Bureau d'Études Économiques et Gestion de Projets
Noëlle
Diagnostiquée en 1996, j’ai rejoint mon entreprise actuelle en 2008. Je suis actuellement consultante et associée dans la société « Conseil Développement Innovation », entreprise coopérative de conseil en ingénierie et management de projets européens et en organisation. Nous sommes une structure dont la taille est inversement proportionnelle à l’expertise, à savoir moins de 10 salariés. Nos principales antennes se situent à Bastia (siège) et Marseille. A ce moment là, j’étais en « longue rémission » et sans handicap particulier, ce qui me permettait d’exercer mon métier sans aucune difficulté, et notamment de voyager régulièrement en France et en Europe pour des rencontres et séminaires transnationaux. La maladie s’est réveillée sous forme secondairement progressive courant 2009. Le handicap s’est installé lentement mais j’ai fait le choix de ne pas parler de la SEP tant qu’il resterait « invisible ». Pour des raisons d’intimité plus que par crainte des réactions.
Fin 2013, j’ai dû en informer un collègue afin qu’il se tienne prêt venir à en appui au cours d’une réunion que je devais animer et alors que j’étais fatiguée par des bolus. Quelques mois plus tard, à l’occasion de notre Assemblée Générale, j’en ai informé le gérant de la société. Dans les deux cas, leur réaction m’a semblé être un mélange de choc et de sentiment de solidarité.
Albert
En tant qu’employeur, bien que percevant certaines difficultés, la salariée a toujours été dans un rapport très professionnel. C’est lors d’une réunion de travail entre cadres que l’annonce a été faite car certains aménagements du poste de travail devenaient indispensables et que se faisait sentir la nécessité d’envisager une adaptation de l’organisation. Au cours de cette réunion, l’annonce de la SEP a d’abord laissé place à un temps de recul et de réflexion, ignorant tout des conséquences à moyen termes susceptibles d’impacter le fonctionnement de l’entreprise, mais une forme de solidarité s’est rapidement manifestée. La forme coopérative de la société a été une dimension favorable pour la compréhension du problème.
Noëlle
A ce moment là, les 3 associés-salariés (moi y compris) de la coopérative étaient au courant. Le statut coopératif de notre entreprise, mais aussi notre culture, encouragent autant la solidarité que l’autonomie et la prise d’initiative. Mon état s’aggravant lentement, j’ai moi-même pris rdv en 2014 avec la Médecine du Travail qui a aussitôt proposé de déposer une demande de RLH auprès de l’AGEFIPH et m’a déclarée apte à mon poste avec la réserve des déplacements en Europe (et notamment transports en commun, navettes des hôtels aux salles de réunions, etc.). Mon EDSS était alors de 5,5.
Albert
L’activité a continué dans un premier temps de manière ordinaire, avec toutefois de la part de la salariée (également coopératrice) une prise d’initiative en accord avec son employeur pour engager des démarches permettant de faire face aux problèmes qui allaient se poser du point de vue de sa mobilité. L’entreprise a souscrit à ces initiatives prenant en considération l’aspect humain, mais également les qualités professionnelles de la salariées affectées par la maladie. Toutes les mesures envisageables ont été mobilisées avec le conseil de la Médecine du Travail pour adapter le poste de travail.
Noëlle
Dans notre fonctionnement « habituel », chaque consultant gère ses « dossiers » de A à Z : démarche commerciale, ingénierie de la mission, mise en œuvre, facturation… Notre métier comporte une forte dimension relationnelle et il faut donc se déplacer. Or, dans la mesure où je ne peux plus mener une mission dans toutes ses dimensions, il fallait passer d’une organisation où chacun gère ses affaires de bout en bout à une organisation où : – j’effectue du « travail sur table » – et où les salariés « valides » effectuent les déplacements – et où nos clients ne sont pas perturbés par ce changement d’interlocuteurs. Lorsque mon EDSS est passé à 6 (et ma SEP en forme secondaire progressive avec poussées) et que j’ai commencé à me déplacer avec une canne, il a fallu aussi mener un travail d’information et de réassurance auprès de mes clients « locaux » : il suffit de connaître un peu la maladie pour savoir que les « poussées » peuvent clouer les malades chez eux. Comment allaient-ils continuer à croire que leur consultante n’allait pas leur faire faux-bond le jour de l’animation de tel séminaire ou de telle formation ?
Albert
Les premières difficultés qui se sont par la suite amplifiées, ont concerné l’accessibilité au poste de travail, le fait également de pouvoir envisager de réaliser une partie du travail à distance en télétravail compte-tenu des difficultés liées aux déplacements (capacité et fatigue). La question des déplacements professionnels à l’étranger nécessitant différents modes de transports a également été posé et solutionné par l’adoption d’une organisation différente.
Noëlle
J’insisterais sur le fait que mon entreprise n’est pas la seule à devoir prendre régulièrement des dispositions : mes clients aussi. Sans cela, je ne pourrais pas continuer à exercer mon métier, faute de clients… Dans mon entreprise :
– Le montant de l’aide RLH accordée par l’Agefiph me permet de me déplacer plus facilement dans mes trajets domicile-bureau ou chez des clients et partenaires marseillais (taxis). Il est également déduit de mon objectif de chiffre d’affaire afin que cet objectif reste atteignable malgré ma perte de productivité.
– Mise en place de télétravail
– Un ordinateur portable plus léger a été mis à ma disposition pour mes déplacements domicile-bureau et mes déplacements sur Marseille et en région.
– Mes collègues assurent les déplacements à l’étranger ; Albert veille à ce que j’effectue un maximum de travail sur table
– Afin de compenser ma perte de chiffre d’affaires, je vais prochainement effectuer une formation de « coach professionnel » avec pour objectif de renforcer notre activité marseillaise de conseil en organisation des entreprises
Pour mes clients :
– Si la salle de réunion est à l’étage sans ascenseur… ils trouvent le moyen de l’organiser au rez-de-chaussée
– Un client avec lequel je collabore depuis 10 ans choisit ses lieux de séminaire en tenant compte des conditions d’accessibilité pour moi : présence d’ascenseurs, chambre adaptée, voiturettes électriques, participants qui me donnent le bras et me rapportent du jus d’orange pendant les pauses…
Albert
Le poste de travail a été aménagé pour faciliter la posture, un équipement mobile a permis le télétravail, une aide financière de l’Agefiph a permis aussi de mettre en œuvre des moyens de transports spécifiques.
Sur le plan pratique, l’organisation de l’entreprise a été modifiée en développant un travail d’équipe plus affirmé, voir de substitution de la salariée pour certains déplacements par ses collègues sans pour autant lui retirer la responsabilité de ses affaires. La salariée a gardé sa place dans l’organisation, c’est son environnement qui a été adapté pour optimiser collectivement ses compétences en conservant une bonne efficience plutôt au niveau de l’équipe que de la personne affectée par la maladie.
Noëlle
La SEP est une maladie polymorphe à l’évolution imprévisible. Un salarié peut avoir la SEP et être parfaitement valide, ou souffrir d’un handicap invisible, ou d’un handicap visible. La difficulté intervient, bien sûr, quand le handicap commence à avoir une répercussion sur le travail du salarié. Cela nécessite des aménagements et peut conduire à une perte de productivité, temporaire ou définitive. Il y aura toujours un moment où l’entreprise supportera un coût, financier et/ou organisationnel. Le coût financier peut être atténué par des aides publiques (AGEFIPH) ; le coût organisationnel, quant à lui, est nécessairement absorbé par les acteurs de l’entreprise (dirigeant, collègues). Les raisons du maintien du / de la salarié(e) ne seront plus alors à rechercher uniquement du côté de la performance. Elles seront à cultiver, aussi, dans les valeurs humaines de solidarité et d’empathie. Organiser l’accès ou le maintien dans l’emploi d’une personne atteinte de SEP, c’est un véritable engagement éthique de l’entreprise.
Albert
La situation rencontrée par la salariée, le personnel dans son ensemble et l’entreprise nécessite de pouvoir anticiper les problèmes qui vont surgir, il faut autant que cela soit possible privilégier une transparence constructive. Une fois, la situation constatée et analysée, l’ensemble des dispositifs compensatoires doivent pouvoir être envisagés et mis en œuvre pour optimiser une situation qui nécessitera une grande confiance entre les parties prenantes. Le côté « clients » est également en soit un élément du problème car sans qu’il s’agisse d’accepter une baisse de la qualité des prestations réalisées, il faut qu’à l’externe de l’entreprise, le même regard soit porté. Il est nécessaire que la prise en compte des difficultés soit assumée globalement par le couple « prestataire/client ».
Noëlle
Anecdote avec un client : deux jours avant la tenue d’une réunion à laquelle je devais me rendre, une poussée est survenue qui m’a empêchée de sortir de chez moi pendant plusieurs semaines. J’en ai informé mon client qui m’a immédiatement proposé d’animer la réunion par téléconférence. Avec un ajustement dans la préparation de la réunion et dans sa méthode d’animation, les objectifs de cette réunion – qui a réunit une dizaine de personnes – ont été atteints. Sans la souplesse et la compréhension du DG de cette entreprise et la bienveillance de son équipe, cela n’aurait pas été possible.
Noëlle
D’abord, j’aurais une pensée pour toutes les personnes atteintes de la SEP qui souhaiteraient travailler pour des questions d’ordre financier et d’existence sociale, mais qui ne le peuvent pas. Face à un handicap important, physique, sensitif et / ou cognitif, la détermination et la volonté – de la personne malade ou de l’entreprise – ne peuvent malheureusement rien. Il faut alors renoncer à toute activité professionnelle, avec toutes les conséquences économiques, sociales et parfois familiales que cela implique.
Les personnes qui peuvent et qui veulent travailler ont, de mon point de vue, plusieurs étapes à franchir.
Il y a d’abord l’étape de l’annonce. Quand le faire ? Comment le faire ? Il y a souvent une période au cours de laquelle on peut prendre le temps d’hésiter entre le devoir d’information (avec le souci des intérêts de l’entreprise) et la volonté de se protéger (préserver son intimité, éviter un rejet / licenciement). C’est la phase pendant laquelle on échafaude des scénarios sur les conséquences possibles de l’annonce et où on examine les différents facteurs susceptibles de les influencer : quelle est la qualité du rapport de confiance avec son employeur, ses collègues ? Quelle est la culture de l’entreprise (compétition à tous crins ? ambiance familiale ?…) ? Quel est le type d’organisation dans laquelle on évolue (public ? privé ? grand groupe, PME, TPE ?) ? Etc.
Vient le moment où il faut se lancer car, sans information, l’employeur ne peut pas prendre en compte le paramètre « maladie » pour piloter l’organisation et mettre en place les aménagements nécessaires. Les modalités d’annonce de la maladie sont essentielles. Je recommanderais de s’informer au préalable sur les dispositifs qui peuvent être mobilisés par l’entreprise pour adapter le poste de travail et plus largement, éventuellement, son organisation. Arriver avec un problème… mais aussi avec des solutions. En la matière, la Médecine du Travail, le SAMETH et l’AGEFIPH sont des alliés dont il faut se rapprocher le plus rapidement possible.
Ensuite, si on parvient à obtenir un emploi ou à le conserver, il faut se préparer à faire régulièrement acte de pédagogie, car les personnes qui ne connaissent pas la SEP et le handicap ne peuvent pas les comprendre. Expliquer ses limitations, ses besoins, provoquer l’irruption de quelque chose d’aussi intime qu’une maladie dans des échanges que l’on voudrait exclusivement professionnels, est souvent inconfortable ; mais il s’agit d’un exercice incontournable qu’il faut assumer.
Et puis, être en poste avec la SEP, c’est s’accommoder de l’inconciliable : la volonté d’être aussi adaptable et résistant « qu’avant » alors que la pathologie nous oppose des limites indépassables ; vouloir paraitre / être un salarié « normal », « comme un autre » alors que, à chaque instant, notre corps nous rappelle que nous ne le sommes pas.
Pour conclure, je dirais que travailler avec une SEP relativement avancée n’est pas une partie de plaisir. Mais si on a le soutien de son employeur et de ses collègues, voire de ses clients, on peut trouver plus facilement des raisons et la force de continuer et de rester ainsi un contributeur utile au développement de son entreprise et à celui de ses clients.
Albert
La transparence et l’anticipation pour établir rapidement un climat de concertation qui puisse engager la personne affectée et son environnement professionnel. Certes, il y aura la possibilité de permettre la continuation de l’activité en aménageant le rythme, l’organisation et le temps travail, mais pour autant l’environnement dans toute ses composantes sera affecté. Pour éviter toute marginalisation, voir tout rejet de la personne qui apparaîtrait comme une charge pour les autres, il est indispensable de trouver le moyen d’un repositionnement au sein de l’équipe de travail et de production qui atténue cet aspect (ou le compense).